De nouveaux candidats pour l'Irak
Quand les Américains recrutent des mercenaires colombiens
Bogota : Pascale Mariani et Roméo Langlois
[26 août 2005]
Intrépides, rompus à la lutte antiguérilla, moins chers que leurs pairs américains... Sur un marché international du mercenariat en plein essor, les Colombiens seraient de plus en plus cotés. D'où cette insolite annonce récemment postée par un certain Jeffrey Shippy sur le site Internet iraqijobcenter.com. Le citoyen américain établi à Manta, en Equateur, y proposait aux sociétés militaires privées qui opèrent en Irak les services de «plus d'un millier d'ex-soldats et policiers colombiens formés au combat» Des hommes «entraînés par l'US Navy et la DEA (agence antidrogue américaine) pour mener des opérations antidrogue et antiterroristes dans les jungles de Colombie» et «prêts à travailler pour 2 500 à 5 000 dollars mensuels», précisait Jeffrey Shippy. Et de promettre à ses clients potentiels «une considérable économie d'argent pour un produit de haute qualité».
En Equateur, l'affaire a fait grand bruit. Le petit pays andin s'inquiétait déjà des incidences sur son sol de l'offensive antiguérilla orchestrée par Washington dans la Colombie voisine. L'impopulaire base américaine de Manta était tout juste tolérée par le gouvernement du nouveau président Alfredo Palacio. Quito a immédiatement condamné ce recrutement de mercenaires colombiens via Manta. Une enquête a été ouverte, la villa de Shippy perquisitionnée. Mais cet ancien employé de la Dyncorp, une société d'aviation privée à la réputation sulfureuse chargée en Colombie des fumigations d'herbicides sur les champs de coca, reste introuvable.
Les Colombiens n'ignoraient pas que certains de leurs compatriotes, des professionnels de la guerre ou de la sécurité, tentaient l'aventure irakienne au sein des compagnies sous-traitantes du Pentagone. Une armée parallèle de plus de 20 000 mercenaires de toutes nationalités gravite en Irak autour des forces de la coalition. «Ce fut une expérience incroyable et je compte retourner travailler à l'étranger», s'enthousiasme Diego Martinez. Cet ancien sous-officier de la marine colombienne a travaillé un an en Irak pour une société militaire britannique, au côté d'une trentaine d'autres Colombiens. Recruté dans son pays par l'intermédiaire d'une multinationale pétrolière, il se défend d'être «un mercenaire sans foi ni loi».
«A Bagdad, j'escortais des personnalités entre l'aéroport et la Green Zone. Je me suis rendu compte que nous avions d'excellentes compétences en matière de sécurité, raconte Diego. Voilà vingt ans que notre pays est en proie à une violence constante. J'ai rencontré là-bas beaucoup d'étrangers, de véritables Rambo dotés d'un armement sophistiqué. Mais la plupart d'entre eux n'ont jamais participé à des combats. Or ce type d'expérience est tellement normal pour les ex-militaires colombiens, que certains ne le mentionnent même pas dans leur CV.»
Le nombre de ces candidats au voyage est inconnu, mais le recrutement de Colombiens par les contractuels privés du Pentagone serait loin d'être un phénomène isolé. Fin 2004, le quotidien El Tiempo révélait qu'au terme d'une réunion secrète avec des représentants de la multinationale américaine Halliburton, un groupe de Colombiens était parti à Bagdad, Mossoul, Faludja ou Bassora. Leur mission : «protéger des oléoducs et le personnel des entreprises privées». Leur solde : 7 000 dollars mensuels, plus une bonne assurance-vie. Une aubaine, dans un pays où deux tiers de la population vit dans la pauvreté.
Blackwater, une firme américaine spécialisée dans le combat urbain, aurait pour sa part entraîné au moins 120 Colombiens dans une école militaire de Bogota, avec la permission des autorités. Les modalités de recrutement sont inconnues. Blackwater a déjà été critiquée pour avoir envoyé en Irak des ex-militaires chiliens de l'ère Pinochet. En Colombie, certains craignent à présent qu'avec la démobilisation en cours des escadrons de la mort, une abondante main-d'oeuvre de tortionnaires au chômage ne se recycle dans les déserts irakiens.
«En Irak, poursuit Diego, j'ai rencontré des compatriotes embauchés par Blackwater. Ils étaient payés 2 500 dollars par mois pour des opérations à haut risque. Quand ils ont su que j'étais payé trois fois plus, ils l'ont eu mauvaise.» La tendance serait en effet à la baisse des salaires. «Il y a une grande concurrence, notamment de la part des Népalais, moins chers, mais beaucoup moins professionnels», s'indigne Diego.
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Sam 27 Aoû - 11:38
