Pearl Harbour, version 1.0, celle de 1932 !
Nous sommes en 1932 en effet et le port de Pearl Harbor s’apprête déjà à recevoir une attaque massive... mais elle est prévue, ou presque, en tout cas ce n’est pas une surprise pour la Marine américaine qui en est l’initiatrice : c’est le "Fleet Problem XIII" et le "Grand Joint Exercise 4" lancés par un génie novateur, l’amiral Harry E. Yarnell, persuadé de l’importance future des porte-avions, qui a lancé simultanément le Saratoga (lancé en 1925) et le Lexington (son jumeau) à l’assaut de Pearl Harbor, pour démontrer le bien fondé de ses idées. C’est un exercice, donc, destiné à révéler les faiblesses du lieu face à une menace aérienne. Celle de deux porte avions jumeaux. "Les deux navires étaient les plus grands porte-avions dans le monde et le sont restés jusqu’à jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils étaient massifs et rapides, avec leurs machines de cuirassé et en mesure d’atteindre plus de 30 nœuds." Ce qu’ignore l’amiral, c’est que Pearl Harbour est infesté, déjà, d’espions japonais qui ne vont rien rater du spectacle... sans le savoir et sans s’en méfier, les américains vont offrir sur un plateau à leur futur ennemi toute la procédure à suivre pour effectuer une mission réussie ! Tout y était !!! Même l’usage de la météo fort particulière du coin...
"L’amiral Yarnell retint ses avions jusqu’à soixante milles au large d’Oahu, une demi-heure avant l’aube. Alors, dans l’obscurité complète, cent cinquante-deux appareils décollèrent miraculeusement tandis que les porte-avions chevauchaient la vague.Cette première attaque simulée sur Pearl Harbor survint par le nord-est, exactement comme la deuxième, celle des japonais, qui devait causer tant de victimes et de destructions neuf ans plus tard. En hiver, les vents de mousson soufflent du nord-est et se heurtent à la chaîne de Koolau- sept cents mètres d’altitude - où ils se débarrassent de leur humidité. On ne saurait souhaiter mieux pour une attaque aérienne puisque les avions peuvent franchir ce véritable mur de nuages au dernier moment et piquer sur Pearl Harbor dans un ciel dégagé avant que les défenseurs aient eu le temps de prendre l’air et d’intercepter l’agresseur. C’est précisément ce qui se passa le dimanche 7 février 1932. Les bombardiers lourds, les bombardiers d’assaut, les bombardiers torpilleurs, les chasseurs partis du Saratoga et du Lexington surgirent des nuages pour trouver la plus grande base navale du monde étalée au-dessous d’eux, sans protection. Chaque groupe avait unrôle déterminé. Les chasseurs « anéantirent » les appareils au sol par un feu de mitrailleuses simulé. Aucun des avions de la défense ne s’envola au cours de l’attaque tandis que les autres escadrilles lançaient des bombes théoriques sur les installations militaires et « coulaient » tous les navires en rade. Les assaillants bénéficiaient d’une absolue maîtrise de l’air (*). " Un dimanche, jour choisi pour surprendre encore davantage les troupes endormies. Le plan de Yarnell était diabolique !
Tout y était, en effet, et même un armada d’espions japonais : "tandis que les escadrilles des « assaillants » fonçaient sur Pearl Harbor, le réseau d’espionnage japonais d’Oahu plaçait des observateurs à tous les points surélevés de l’île, chacun d’eux avec une raison plausible d’être là, tantôt tapis dans l’espèce de maquis qui borde la rade, tantôt feignant de pêcher à quelque distance de la côte. Après la fin des manoeuvres, à Honolulu, dans tous les lieux publics où se trouvaient des marins américains ou leurs officiers, d’autres espions écoutaient les conversations". Yarnell attaqua comme il l’avait prévu et le jour qu’il avait décidé : un dimanche ! Comme le feront plus tard les japonais ! Les espions relayaient leurs prises de notes par l’intermédiaire de l’ambassade japonaise à Honolulu, clé de voûte du système de renseignement japonais.
Américains ou japonais, tout le monde s’accorde au moins sur une chose : l’attaque simulée est une réussite totale, toutes les défenses tournées vers une attaque navale et non aérienne ont été prises en défaut. "Le New York Times couvrant les exercices a signalé que des avions de Yarnell "avaient fait une attaque sans aucune opposition de la défense, qui a été prise par surprise au moment de la sieste, et les avions de Yarnell ont échappé aux navires sans le moindre dommage." Il a également noté que les défenseurs de Pearl Harbor étaient encore en train de chercher après son groupe d’attaque 24 heures après celle-ci".
L’attaque simulée est en effet une réussite parfaite : mais ce n’est pas pour autant qu’elle modifie la torpeur de l’amirauté américaine, qui croit toujours comme les anglais et les allemands aux croiseurs et aux cuirassés : l’avion, en aéronavale, n’a pas encore fait ses preuves, loin de là, et il faudra attendre la Guerre du Pacifique pour le démontrer. Les allemands eux aussi n’étaient pas convaincus et fabriqueront tardivement (lancé en 1938, il ne sera jamais vraiment terminé) un porte-avions, de 265 m de long qui aurait dû accueillir des Stukas modifiés et des Messerschmitt Bf 109E-3 (sur les plans figuraient des Henschel 126) : il finira au fond de la mer après que l’incompétence crasse d’Hitler l’ait envoyé à la feraille en 1943. Il fut en fait sabordé à Stettin (aujourd’hui Szczecin, en Pologne), le 25 avril 1945 : les russes le renfloueront pour en faire un cargo géant de transport, et son épave, restée longtemps inconnue ne fut retrouvée que 12 juillet 2006 (de très belles images ici !)... "Alors que la Marine US a refusé de tirer des leçons de l’exercice, les japonais lui ont accordé beaucoup d’attention, et un des observateurs leur a fourni un rapport détaillé à Tokyo. En 1936, le collège de guerre de la marine japonaise diffuse une étude intitulée "Stratégie et tactique dans les opérations contre les États-Unis". L’une de ses principales conclusions était "au cas où la flotte principale ennemie serait à quai à Pearl Harbor, l’idée devrait être, pour ouvrir les hostilités, d’une attaquer surprise aérienne. " L’idée, déjà rédigée cinq ans avant, sera mise sur le papier par l’amiral Yamamoto, qui en tirera la seule gloire en fait. Un Yamamoto en réalité iconoclaste en son propre pays et grand admirateur de l’armée américaine ! "L’amiral Yamamoto a suivi la stratégie exacte prouvée en 1932 par l’exercice d’Harry Yarnell, en tenant son groupe de travail sous silence radio à travers le Pacifique du Nord avec des rafales de pluie et le mauvais temps, loin des routes maritimes commerciales et navales de la mer, jusqu’à un point situé juste au nord de la île d’Oahu, ou, à partir de ce moment-là, il a lancé son attaque comme celle de la journée qui deviendra si infamante pour les USA".
La conclusion s’impose : "En 1932, l’amiral Harry Yarnell a montré comment un groupe de navires autour de portes-avions pouvait détruire une flotte ennemie dans une guerre transocéanique, lors d’un exercice d’attaque surprise sur Pearl Harbor. La Marine a refusé de reconnaître l’exercice et la domination future de la base aéronavale jusqu’à ce que les japonais emploient une stratégie identique dans leur propre attaque du 7 Décembre 1941." En résumé, les américains avaient offert en 1932 aux japonais le manuel complet pour comment attaquer Pearl Harbour ! L’amirauté américaine n’en a rien retenu. Les japonais, eux, ont suivi à la lettre les recommandations, et l’amiral Yamamoto, présenté comme fin stratège n’a en fait pratiquement rien inventé en conduite de guerre. Maintenant, reste à voir pourquoi la même attaque ou presque, neuf années plus tard, menée par les japonais sur le modèle de l’exercice de Yarnell allait s’avérer aussi réussie. Ça, c’est une autre histoire : celle, encore une fois d’une marine US aux dirigeants inconscients. Celle que je vous propose d’étudier demain si vous le voulez bien...
La fierté de la flotte US de 1941, épargnée par chance à Pearl Harbour, aura une fin pitoyable, puisque le Saratoga, héros de la guerre contre les kamikazes, servira de test nucléaire lors de tests sur l’atoll de Bikini, où il sera coulé en 1946. Les plongeurs le visitent aujourd’hui. La vague de 19 mètres de haut formée par l’explosion l’avait porté à 500 m de son mouillage, mais il avait résisté huit heures avant de couler. Avant cette explosion, il avait déjà résisté à une explosion aérienne qui n’avait qu’incendié son pont. Le Lexington avait eu moins de chance encore : bombardé, touché par des kamikazes, incendié, il a été coulé lors de la bataille de la mer de Corail le 8 mai 1942.
(*) extrait de "Dans les coulisses de la guerre secrète 1939-1945, Sélection du Reader’s Digest, 1965.
A croire que les américains ce sont laissés bombarder délibérément pour obtenir un consensus national et entrer en guerre. C'est étrange comme 60 ans plus tard on a l'impression qu'ils ont utilisé la même recette.