Derrière la démarche mercantile et clichée, on est dans le vrai dans ce bouquin.
«Les cadres sont passés de la coke aux calmants»
Un livre drôle et choc «L'open space m'a tuer» décortique l’impact des nouvelles méthodes de management: absence apparente de hiérarchie, tutoiement, séminaire de «teambuilding», gestion des ressources humaines par l’affectif... Censés valoriser l’épanouissement, ces procédés en vogue provoquent, au contraire, solitude et souffrance chez les cadres. Explications avec Alexandre des Isnards, un des auteurs du livre.
Comment avez-vous eu l’idée de ce livre?
J’ai commencé d’échanger avec Thomas Zuber, le co-auteur du livre, sur nos conditions de travail. J’étais dans une agence internet où les gens partaient en faisant des mails collectifs violents qui ne faisaient pas réagir la direction. On a commencé à se poser des questions sur le sens de notre travail, nous nous sentions mal alors que nous aurions du nous sentir privilégiés. Nous avons eu envie de raconter ça sous forme de saynètes issues d’histoires vraies qu’on nous a racontées ou que nous avons observées autour de nous.
Qu’est-ce qui ne fonctionne pas?
Ce qui est en cause, c’est le management en mode projet, où l’autonomie se transforme en solitude, les cadres se sentent seuls dans ce système. Il y a perte de sens et de repères. Tout le monde dit s’épanouir dans cette culture du cool où on se doit d’être enthousiaste, mais c’est une façade.
Ce management se dit plus humain, plus épanouissant. Quelle est la réalité, quels en sont les ressorts?
Il faut laisser la personne face à son projet et juste l’orienter au cas où. Sur le papier, c’est très sympa, mais ça ne l’est pas. Le manager n’aide pas, il n’y a pas de travail collectif. Dans les grandes entreprises, il faut sans arrêt se réinventer un projet ou son métier. Si on n’en a pas, on n’a plus rien à faire, on devient responsable de son inactivité. Tout se gère sur le côté affectif, on ne donne plus d’ordres car on devient responsable de cet ordre et donc du possible échec. Il faut laisser l’employé seul responsable. C’est un système qui fonctionne sans hiérarchie apparente. Un «bon» manager qui veut survivre n’a pas intérêt à s’impliquer dans un projet.
Peut-on encore faire carrière?
Les entreprises attirent les salariés en leur disant qu’en travaillant chez elles, elles pourront mieux se vendre ailleurs. Il faut donc se fabriquer une image de marque pour être employable, il faut jouer un personnage, donner l’image de quelqu’un d’épanoui… C’est une comédie du bonheur mais un jeu fatigant. Les cadres qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui ont compris par exemple qu’une évaluation ne se fait pas sur des critères objectifs, mais en sachant vendre son travail au bon moment.
Quel est le rôle de l’open space dans cette comédie?
Les gens sont amenés à jouer leur rôle constamment puisqu’ils sont tout le temps sous le regard de la communauté. L’open space permet une forme d’auto-surveillance: les gens intériorisent la norme en fonction des autres et ils s’autolimitent. Cela permet aussi de détecter ceux qui sont dans l’esprit ou non. Cela permet aussi de faire du management par le déménagement en testant la résistance des employés aux changements.
La société du mérite devrait se traduire dans le monde de l’entreprise. Est-ce le cas?
Non, car le mérite se fait en fonction de l’évaluation et cette évaluation se fait sur l’image de marque que le salarié s’est construite. La nouveauté, avec le travail en mode projet c’est que la notion d’«expérience» disparaît. A chaque nouveau projet, on remet les compteurs à zéro, on oublie ce qui a été fait avant et d’ailleurs, on est souvent jugé par une personne qui ne sait pas ce que vous avez fait avant. De plus, on présente chaque nouveau projet comme une grande aventure au sein de l’entreprise, mais on oublie souvent d’intéresser les gens financièrement.
Vous avez constaté une vraie souffrance?
Avant les cadres prenaient de la coke pour se dépasser, maintenant ils prennent des calmants pour tenir.
Le manque d’ambition est-il une forme de résistance?
Les salariés se rendent compte de plus en plus tôt que ça ne vaut pas le coup de s’investir à fond pour si peu de retombées. C’est une conséquence de cette absence de projet commun entre l’entreprise et les cadres.