Un proviseur révoqué pour s'être livré intimement sur son blog
Des propos publiés sur un blog perso peuvent-ils motiver un licenciement? Oui selon l'Éducation nationale qui a jugé que ce fonctionnaire a tenu un blog «obscène et pornographique». Il y affichait son homosexualité et critiquait son administration.
Le fait est sans précédent en France. Repéré sur internet via son blog Garfieldd.com, le proviseur du lycée technique de Mende, en Lozère (48), a été révoqué début janvier par l'Éducation nationale. L'institution lui reproche d'avoir publié des contenus à caractère «pornographique» sur son blog, pourtant tenu sous pseudo (Garfieldd). Mais des notes sur sa vie professionnelle mêlées à d'autres intimes et sur ses états d'âmes ont rendu ses fonction et lieu de travail identifiables.
Dans sa dernière version (archivée en partie), le chef d'établissement affichait d'ailleurs son visage en page d'accueil. Ce qui a pu convaincre les professeurs d'un autre lycée de la région d'alerter leur hiérarchie. «Dénoncer» diront d'autres.
Dans une interview en ligne sur le site de RTL, le proviseur réagit vivement: «Je récuse le terme pornographique, ça n'a jamais été le cas sur mon blog (...) dans lequel je parlais de ma vie (et donc aussi) de ma vie professionnelle. Objectivement mon blog était anonyme.» Comme tout fonctionnaire, ce proviseur était tenu au devoir de réserve, dont les blogs ne sont pas exempts.
«Des contenus incompatibles avec la fonction»
Sur un précédent blog, il se questionnait en avril 2004: «Le fait que j'occupe des fonctions perçues au niveau local ou dans le microcosme professionnel comme importantes, doit-il me conduire à me censurer, à me contraindre, à me restreindre, à m'étouffer sous le poids des convenances?» Sa prose, alerte, indiquait visiblement un questionnement voire un mal être, que seul un blog lui a permis d'exprimer. Une sorte de coming out. Mais la critique des rouages du "mammouth" était aussi très ironique, précise, répétée. Est-ce cela surtout qui n'est pas passée auprès de sa hiérarchie?
Paul Desneuf, directeur de l'encadrement à l'Éducation nationale, répond à ZDNet.fr: «Ce n'est pas le fait de tenir un blog qui a été sanctionné, mais le contenu de ce blog. La Commission paritaire nationale a estimé, à la majorité de ses membres (pour moitié des pairs de ce proviseur), que ce blog comportait des contenus pornographiques et incompatibles avec sa fonction. Le proviseur était présent, et assisté d'un avocat. Sauf gain de cause obtenu en appel, il ne pourra plus exercer dans la fonction publique et devra se reconvertir. Pour l'heure, je n'ai pas en main sa procédure de recours.»
Cette affaire repose la question de la liberté des blogs par rapport à l'espace professionnel. À l'étranger des précédents existent: une web designer américaine licenciée en 2002, pour avoir raillé la vie de son entreprise (sans citer de noms) sur son blog Dooce.com; un employé de Microsoft en 2003, pour un post impertinent publié sur son blog perso; un employé de librairie à Edimbourg (Écosse) pour avoir dénigré ses employeurs; une hôtesse de l'air de Delta Air Lines pour s'être photographiée en uniforme dans un avion de sa compagnie en une pose sexy. Dans ce dernier cas, la personne poursuit l'écriture de son blog et va même tirer un livre de sa mésaventure: Diary of a Dysfunctional Flight Attendant: The Queen of Sky Blog.
Les blogs n'échappent pas à la réglementation
Outre l'expression d'un mécontentement "corporatiste" (une pétition a été mise en ligne), les blogueurs cogitent aussi sur le fond, et c'est nouveau. La plate-forme Blogger.com (filiale de google) a même produit un article pratique très détaillé: "Comment éviter d'être licencié à cause de votre blog", au même rang que "Comment puis-je publier des images, modérer les commentaires", etc. Sur son blog, Loïc Le Meur, patron de Six Apart, propose lui de «lancer un blog pour protéger les droits des salariés licenciés pour blogging».
Il faut surtout retenir que le blog, au même titre que les autres supports de diffusion, rentre sous le coup de la loi. Dans son récent ouvrage Blogueur d'entreprise François Nonnenmacher, en rappelle le cadre juridique contraignant pour l'auteur: secret professionnel, diffamation, incitation à la haine raciale, etc. Récemment, le FDI a également produit le document de synthèse "Je blogue tranquille".
De leur côté, les entreprises sont elles aussi assises entre deux chaises: elles souhaitent promouvoir le blog tout en exerçant leur contrôle. Il faut s'attendre désormais à ce que chartes et avenants aux contrats de travail encadrent (ou selon le point de vue verrouillent) plus nettement l'usage des blogs en entreprises.
Ce proviseur révoqué a en tout cas déposé un recours auprès du Ministère de l'Éducation nationale, soit auprès de Gilles de Robien.
DOM reste loin de tout ça...