C'est les soldes !

C'est les soldes ! A vos marques ! Près ? Feu ? Partez !

Et c'est reparti pour un tour ! Les foules agglutinées aux volets métalliques des supermarchés de provinces, le caddy dans les starting block, tous près à briser la rotule de son prochain, à écraser la maléole de sa prochaine, pour un lot de chaussettes kindy, un coeur croisé de playtex ou une batterie de casseroles...

Les revoilà toutes ces pétasses décolorées, au chaud dans leurs fourrures, faisant la queue sur les trottoires fatigués des boutiques de luxe pendant que leurs infâmes caniches y lachent leurs sombres merdes : avenue des Ternes, les Champs Elysées, la place Vendôme... Même spectacle affligeant de femmes qui, la main gantée, pudiquement posée sur le visage, espèrent rester cacher des caméras. Elles ne réalisent même plus que c'est de ridicule qu'elles se couvrent ! Surtout, ne pas être vue en train d'acheter du Gucci soldé. Quelle déchéance si le tout Paris apprenait que madame tortille du popotin dans un deux pièces Channel acheté à même pas 50%. Quelle désillusion au Tennis Club si l'on découvrait que le porte-monnaie de monsieur n'est que du croco au rabais. Quelle drame existentiel frapperait alors de plein fouet leur petit cercle mondain.

Quelques soient les milieux sociaux considérés, les soldes exercent sur mes semblables une influence détestable, pareil à une vielle Lune, ronde et roussie, sur un tas de patates laissées au grand air... Et tout ça quelques semaines seulement après la frénésie consommatrice des fêtes de fin d'année. Honnêtement, c'en est trop ! Quelques jours avant Noël, un reportage d'une complaisance inouïe, entre-apperçu au JT de France2 (si encore ça avait été TF1...) se proposait de faire rêver la ménagère en présentants quelques "authentiques marchands de rêves" (sic) : mécano de luxe qui en quelques tours de manivelles vous montent quatre enjoliveurs 24 cara ,incrustés chacun de 18 diamants, pour que votre Mazerratti ne ressemble à aucune autre. Couturiers bon chic bon genre pour cabot, en l'occurence Pépette, immonde caniche nain, qui va avoir sa petite combinaison Louis Vuitton afin de ne pas prendre froid à Megève cet hiver... Et l'inénarable Catherine Laborde, ses yeux de gobbie écarquillés, éclairés par cette magie de Noël, de conclure de sa voix sirupeuse sur un "ça fait rêver". En effet, c'était probablement l'objectif... Moi ça m'a plutôt écoeuré.

Imaginons : t'as le RMI ; t'as encore été boulé à deux entretients d'embauche aujourd'hui ; plus personne n'ose dire qu'il te connait ; t'as vidé tes deux litres étoiles de "la Villageoise vin d'table" - bref une journée ordinaire quoi - t'es confortablement installé dans ta chaise de jardin, unique meuble de ton une pièce sans fenêtre avec chiottes sur le balcon ; tu trempes ton pain sec dans une soupe au goût de flotte où surnagent les crottes des rats avec qui tu tappes la discute les soirs de sollitude, c'est-à-dire souvent ; ton sapin de Noël tu l'as fabriqué avec du papier alluminium et des bouchons en liège accrochés sur une vieille plante crevée ; t'as une boite de paté hénaf que tu t'interdis d'ouvrir en attendant le 24 au soir ; t'es donc pénard, t'as rien demandé à personne et tu tombes sur ça à la télé - par intermittence parce que c'est un vieux poste des années 60 et que quand le vent il est à l'ouest ça fait des interférences - ... Est-ce que t'as pas un tout petit peu envie d'aller cramer une bagnole ou deux ?

Je suis un consommateur. Un consommateur de base. Si j'suis à plus de dix minutes d'une fnac, je dépéris. Parfois j'me dis que quand un commercial cherche à établir le profil du "parfait guignol à qui on va faire cracher son fric pour qu'il achète notre merde" en vue de lancer un nouveau produit, il commence par éplucher mon compte bancaire, puis il interroge mes proches, se charge enfin de coller des micro chez moi. Moi, l'accro de l'édition collector, le psycopathe du dvd bonus que j'regarderais jamais... Bref, je ne suis pas franchement bien placé pour jouer les censeurs. Mais la dose de ridicule était telle que, chaque année à même époque, j'en viens à haïr mon semblable. Et puis j'me sens comme submergé par un sentiment de révolte ! Comment peut-on à ce point se rabaisser au rang de bête sans même s'en rendre compte, tout ça pour céder au même rituel écoeurant des soldes ? Comment le fric peut à ce point dénaturer un être humain ? Chaque jour d'ouverture des soldes, j'aime pas beaucoup le monde dans lequel je vis ! Mais rassurez-vous, demain j'irais m'acheter le dvd de Sin City et tout ira beaucoup mieux