Daniel Defoe - Les Chemins de Fortune

Daniel Defoe - Les Chemins de Fortune

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Barbe-Noire, Rackham-le-Rouge, Bartholomew Roberts, le pirate malgré lui, Mary Read, la belle travestie... : ils sortent tous de cet énorme livre, et leur sillage d'effrois et de ténèbres, tels qu'ils se sont gravés à jamais dans nos mémoires. Des milliers de romans, de chansons, de poèmes, d'études historiques ont pu nourrir, amplifier ou même critiquer depuis la légende pirate. Il n'en reste pas moins que c'est ce livre qui en a fixé quasi définitivement les traits, et encore aujourd'hui nous n'en savons guère plus sur le sujet que ce qu'a bien voulu nous en livrer le "capitaine Johnson". Dés lors faut-il s'étonner si la réévaluation du phénomène pirate qui agitent les spécialistes anglo-saxons trouve encore sa source dans une relecture de ce texte ? La longue dérive des bateaux révoltés hante les nuits du monde depuis les premiers âges, mais il n'est pas éxagéré de dire que c'est ici qu'elle a trouvé, pour la première fois, son expression mythologique.

Le livre lui-même est une légende. Publié en 1724 sous le titre General History of the Robberies and Murders of the most notorious Pyrates, il connut immédiatement le succés. Devenu The History of the most notorious Pyrates, il devait être réédité une centaine de fois sans que s'éclaircisse pour autant le mystère : qui donc était ce mystérieux capitaine Johnson donné pour son auteur, mais dont aucun rôle n'avait gardé la trace ? Un marin, assurément, et même un pirate ! Comment expliquer sinon l'incroyable richesse de ses informations ? Pierre Mc Orlan, en 1921, le décrivait encore comme tel et Gilles Lapouge en 1969 opposait aux affabulations supposées de Daniel Defoe sur le capitaine Avery le scrupuleux capitaine Johnson. Mais comment, dans ce cas, expliquer la qualité littéraire du texte, et ce sens jamais démenti de la scène juste, du détail rare, ce génie de l'image assez vif pour que celles-ci s'imposentà tous les écrivains qui allaient suivre, toutes qualités bien au-dessus des possibilités d'un simple homme des mers ? Il faudra attendre l'édition critique de Manuel Schonborn en 1972 et les travaux du grand historien Christopher Hill pour tenir, de manière assuré, le fin mot de l'histoire : comme certains spécialistes avaient commencé à le supposer vers 1950, le mystérieux capitaine Johnson n'était autre que Daniel Defoe lui-même.

Du coup, le mystère, loin de se dissiper, se déplace. Car l'auteur tardif de Robinson Crusoé s'est attiré à juste titre une solide réputation d'affabulateur, pour ne pas dire de menteur invétéré : récits de voyage en Amérique du Sud, en Océanie, à Madagascar, en Afrique, donnés pour véridiques et bien évidemment imaginaires, mais si bien ficelés qu'ils avaient pu abuser les géographes pendant près d'un siècle; sans parler de quelques biographies d'hommes illustres fortement marquées du sceau de l'imagination la plus débridée. Fallait-il en conclure que le livre-somme sur la piraterie, le monument pris pour argent comptant par des générations d'historiens éblouis n'était lui aussi qu'une escroquerie tout droit sortie du cerveau fertile d'un faussaire ? La chose, avouons-le, n'aurait pas manqué de sel ! Mais il semble bien que non : tous les documents découverts à ce jour - et ils sont tout de même relativement nombreux - n'ont fait que confirmer le sérieux de l'ouvrage. Ce qui, de la part d'un tel gaillard, ne laisse pas de surprendre. Car enfin, pourquoi ce polygraphe pressé, puritain militant de surcroît, s'est-il donné la peine de mener cette énorme enquête, et sur un tel sujet ? Pour édifier ses contemporains à l'aide de quelques récits bien horribles, et les détourner à jamais de la tentative du péché ? Le lecteur découvrira, non sans quelques frissons délicieux, que nous sommes loin du compte...

Abordages sanglants, pillages et orgies, tortures raffinées : l'acte d'accusation est terrible. A peine quelques personnages viennent-ils çà et là relever d'une touche d'émotion ce carroussel de l'épouvante : l'action peut se dérouler sur les plus belles mers du monde, dans des décors dignes de Paul et Virginie : c'est bien d'un voyage en enfer qu'il s'agit. D'où vient alors que ce livre ait pu fasciner des générations d'écrivains, nourrir tant de rêves, et tant de nostalgies, peut-être même susciter quelques vocations ? De ce que pour la première fois la piraterie nous est ici montrée comme un "monde à l'envers", avec sa cohérence, ses règles, sa culture propre et son organisation sociale, autrement dit comme une utopie. Des brutes féroces et perverses, détruisant tout sur leur passage, des canailles sans foi ni loi, prête à s'entre-égorger ? Sans doute. Mais aussi des révoltés, nous montre Defoe, quoi qu'il en prétende, dressé contre l'injustice, tente de se créer, pour survivre, une manière de république, parfois rêvant même de recommencer à zéro le travail du Créateur : ces redoutables forbans rêvaient aussi de Paradis...

Michel Le Bris

La piraterie, bien loin de clichés qui ont pu etre vehiculé à travers les siècles, a constitué à l'époque de la navigation à voile un formidable exutoire pour de nombreux marins, fatigués des dures conditions de vie dans la marine traditionnelle. Veritables sociétés parallèles, idealistes, parfois libertaires, souvent en avance sur leur epoque (democratie, place de la femme, abolition des classes sociales), les compagnies de pirates ont contribuées à leur manière à faire avancer la societé au mepris des risques encourus (William Kidd fut executé et son corps resta suspendu dans le port de Londres pendant plusieurs années dans une armature en fer).

Tu connais peut-être déjà cet ouvrage Marcus. C'est le catalogue d'une exposition qui a eu lieu à l'abbaye de Daoulas puis au musée de la Marine à Paris, sur les Pirates et les Flibustiers. Elle s'inscrit dans cette réévaluation du phénomène pirate et la dimension idéologique de la piraterie. Le meilleur ouvrage que j'ai pu croiser sur le sujet, richement illustré, et y'a que des pointures qui y écrivent *pouce

Je suis allé voir l'expo au musée de la Marine et j'ai lu le bouquin rattaché à l'expo (pas celui la visiblement). Hyper interessant. Tout comme l'expo qui a suivit d'ailleurs (Napoleon et la mer).
Les pirates et plus generalement, l'activité maritime des 17, 18 et 19eme siècle (geopolitique, marine, pirates, corsaire, ...), c'est vraiment passionnant. *pouce

Guigui, je suis d'accord pour que tu amènes ces bouquins avec toi en vacances à Carantec, et que tu les y oublies...Je te les ramènerai en septembre ! *bave *pouce *bisou